Il y a deux ans, le ministre de l’Économie dévoilait à l’équipe éditoriale de La Presse une vision ambitieuse pour le développement de la filière batterie au Québec. Utilisant notre électricité verte et bon marché, le Québec visait à créer une industrie d’avenir pleinement intégrée, transformant ses richesses minérales localement pour générer de la valeur ajoutée et de la prospérité.

Pourtant, malgré cet enthousiasme initial, la réalité a montré que l’exécution de cette vision s’avère plus complexe qu’anticipé. Depuis début juillet, des signes inquiétants assombrissent le ciel de cette filière prometteuse.

Taiga et Lion Électrique en Difficulté

Acculé à la faillite, Taiga a récemment cherché refuge auprès de ses créanciers. Les contribuables risquent de ne jamais revoir les millions investis par Québec et Ottawa dans cette entreprise de motomarines et motoneiges électriques, qui connaît des pertes financières importantes.

Lion Électrique, autre acteur clé du secteur, a également sollicité la clémence de ses créanciers. La situation actuelle contraste fortement avec l’optimisme de 2021, lorsque les premiers ministres Trudeau et Legault annonçaient fièrement des investissements de 100 millions de dollars pour soutenir le constructeur d’autobus et de camions électriques.

Le Pari Risqué de Northvolt

Le mégaprojet de Northvolt constitue un autre point de préoccupation majeur. Les gouvernements fédéral et provincial ont promis d’investir jusqu’à 7 milliards de dollars dans cette jeune entreprise suédoise, malgré son manque d’expérience et ses ambitions grandioses. Récemment, Northvolt a reconnu avoir été « un peu trop agressive » et rencontre des difficultés à augmenter la production dans sa première usine en Suède. Cette révision stratégique pourrait ralentir le projet d’usine sur la Rive-Sud de Montréal.

Surcapacité Mondiale et Protectionnisme

Le problème fondamental réside dans une surproduction de batteries à l’échelle mondiale. Attirés par des perspectives de croissance alléchantes, de nombreux fabricants ont construit tellement d’usines que le marché se retrouve inondé. Parallèlement, les véhicules électriques restent coûteux en Occident, contrairement à la Chine où ils sont plus abordables que les modèles à essence, ce qui entraîne une demande inférieure aux prévisions.

En conséquence, des géants comme Tesla, Mercedes-Benz, GM et Ford ont réduit leurs prévisions. Un rapport récent de Bloomberg NEF anticipe une surcapacité mondiale de batteries pour la prochaine décennie, avec une situation particulièrement grave en Chine où la capacité prévue pour 2026 dépassera la demande de sept fois.

Vers une Stratégie Plus Prudente

Face au risque de dumping et pour éviter que l’industrie locale soit écrasée par des produits étrangers à prix artificiellement bas, certains décideurs occidentaux envisagent des barrières protectionnistes. Cependant, une approche protectionniste comporte des effets secondaires négatifs, notamment une augmentation des prix qui pourrait dissuader les consommateurs d’adopter les véhicules électriques, ce qui est l’objectif principal.

Le Québec et le Canada doivent évaluer les limites de leur soutien à une industrie qui repose lourdement sur des subventions et des barrières protectionnistes. Maintenir une telle stratégie pourrait nécessiter des interventions financières répétées, comme l’ont montré les récentes aides à Taiga et Lion.

Depuis trois ans, le Québec a investi plus de 3,3 milliards de dollars dans la filière batterie, facilitant des projets totalisant 16 milliards de dollars. Cependant, alors que le ministre Fitzgibbon ambitionne de porter ces investissements à 30 voire 50 milliards de dollars, il serait prudent de ralentir et de réévaluer la situation pour éviter un éventuel échec retentissant.

Source : https://www.lapresse.ca/actualites/editoriaux/2024-07-18/il-pleut-des-batteries.php

4o